THE TRENIERS
Leur Dieu portait des lunettes noires
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Les jumeaux Trenier - Claude et Clifford - naquirent à Mobile (Alabama) le 14 juillet 1919, troisième et quatrième enfants apportés dans cette vallée
de foutaise par Denny et Olivia Trenier, dont la progéniture au complet s'éleva à dix rejetons. C'était une famille de musiciens. Denny Trenier, entre
deux éjaculations, jouait du cor baryton dans l'Excelsior Band, l'un des légendaires orchestres de cuivres qui agrémentaient les défilés et les
funérailles dans le Sud profond; Olivia jouait du piano; et leurs enfants leur emboîtèrent le pas dès l'âge le plus tendre.
En 1939, Claude et Clifford partirent pour le Nord, en l'occurrence l'université d'Etat de l'Alabama, à Montgomery. Les deux jumeaux s'apprêtaient
ostensiblement à entreprendre l'étude de la pédagogie en vue de faire carrière dans l'enseignement.
- Mais, en réalité, on n'étudiait rien du tout, me dit Claude quand je finis par retrouver sa trace à Atlantic City, en août 1982. On était là pour la
musique. Notre frère aîné, Buddy, chantait par-ci par-là dans les petits clubs des environs de Mobile, et on le voyait sortir avec un tas de nénettes.
Ça nous disait bien. Y'avait de bons musiciens, en ce temps-là, dans l'Etat de l'Alabama. Erskine Hawkins était parti de là avec son orchestre,
les 'Bama State Collegians - "les Etudiants de l'Etat de 'Bama" -), en 36.
On s'est acoquinés avec quelques mecs qui s'appliquaient autant que nous à ne rien étudier du tout : Sonny Stitt, qui allait se faire un nom dans
le jazz; Joe Newman, le trompettiste, qui s'est associé à Lionel Hampton et à Wynonie Harris quelques années plus tard; Gene Gilbeaux, qui jouait
du piano; et Don Hill, qui n'a plus cessé de jouer du saxophone alto avec nous depuis ce temps-là.
Quand on s'est fait jeter de l'Université, Cliff et moi, en 1941, on est partis en débauchant tout le groupe. Mais juste après, la Deuxième Guerre
mondiale est arrivée, avec la mobilisation, et a tout foutu en l'air.
En 1944, Jirnmie Lunceford, dont les jumeaux Trenier écoutaient la musique depuis qu'ils étaient adolescents, engagea Claude comme chanteur.
Et le 27 décembre de cette même année, à New York, il grava son premier disque, où il chantait I'm gonna see my baby ("J'vais voir ma chérie") et
That someone must be you ("Ce quelqu'un, ce doit être toi") avec le Jimmie Lunceford Orchestra. Peu après la sortie du disque, Lunceford engagea
également Cliff Trenier. Le 27 février 1945, à New York, les jumeaux chantèrent pour la première fois ensemble sur disque, dans l'enregistrement
de Buzz buzz buzz ("Bzz bzz bzz") par Lunceford. (Ce disque ne vit pas le jour avant 1949.)
Vers la fin de 1945, Cliff retourna à Mobile et Claude quitta l'orchestre de Jimmie Lunceford pour s'installer à Los Angeles où, le 29 janvier 1946,
il enregistra Young man's blues ("Le blues du jeune homme", déjà gravé l'été précédent par Wynonie Harris chez Apollo) avec le Barney Bigard
Quintet pour la firme Lamplighter - "l'Allumeur de réverbère". Un autre simple suivit aussitôt Weird nightmare ("Etrange cauchemar"), avec
Charlie Mingus et son orchestre, pour la firme Excelsior.
Claude trouva un emploi comme chanteur à vingt-cinq dollars la soirée, avec Joe Liggins & his Honeydrippers "Joe Liggins et ses Egoutteurs
de Miel" , au Casablanca, une boîte de nuit sur San Pedro Street. Il traversa ensuite la rue pour aller chanter dans un autre local nocturne, le
Café Society . Lorsque Wynonie Harris fut viré du Club Alabam pour avoir injurié le public, Claude prit sa place. Il finit par obtenir son premier
gros contrat au Melody Club où il resta pendant plus d'un an, son cachet s'élevant à mille deux cents dollars par semaine.
En 1947, Claude emmena Cliff, Don Hill et Gene Gilbeaux sur la Côte Ouest. Ils s'adjoignirent un batteur et un bassiste pour partir en tournée,
d'abord sous le nom de The Trenier Twins & the Gene Gilbeaux Quartet - "les Jumeaux Trenier et le Quartette de Gene Gilbeaux" -, puis sous
celui, plus simple, de Trenier Twins. Lorsque le groupe signa, un peu plus tard cette année-là, son premier contrat avec la firme Mercury, il était
en possession d'un son unique, inspiré en partie du 2/4 de Jimmie "Lunceford et du shuffle de Louis Jordan, mais davantage encore de cette sorte
de sagesse ineffable qui ne s'obtient qu'après avoir passé de longues années à ne rien étudier. Et, chose non moins importante, il avait inventé
un jeu de scène où tout était possible
- depuis les hurlements a cappella jusqu'aux acrobaties, en passant par le football , personne n'avait jamais vu une chose pareille !
Claude, évoquant cette époque, raconta plus tard :
- Quand on faisait le bœuf dans le club de Billy Berg à Hollywood, tous les musiciens de be-bop nous évitaient. Ils pensaient qu'on était des cons
parce qu'on sautait en l'air, parce qu'on hurlait, et ainsi de suite.
Les jumeaux Trenier restèrent chez Mercury jusqu'en 1950; ils avaient sorti cinq disques en tout et pour tout. Après un simple chez London,
Why did you get so high, shorty ? ("Pourquoi t'as grimpé si haut, nabot ?"), les Treniers, comme ils s'appelaient désormais, décrochèrent un contrat
de longue durée chez Okeh grâce à Danny Kessler, dont la mission consistait à remettre en selle la partie rhythm'n 'blues de cette firme qui
renaissait de ses cendres. Entre-temps, leur frère cadet Milt, qui avait été chanteur dans l'Oklahoma, était devenu membre du groupe.
Leur premier disque Okeh, gravé le 21 mai 1951, comprenait Go! go! go! , l'un des premiers vrais disques de rock'n'roll enfantés par New York,
et Plenty of money ("Plein de pognon"), un blues urbain lent chanté par Claude avec la voix qui lui avait valu d'être surnommé par Jimmie Lunceford
le "Sinatra sépia"."
Les disques enregistrés pour Okeh par les Treniers contenaient quelques-uns des meilleurs rocks du début des années cinquante: Old woman blues
("Le blues de la vieille femme", 1951), Hadacol, that's all ("Du Hadacol et rien d'autre", 1952), Rockin' on Sunday night ("Ça secoue le dimanche soir''
, 1952), Rockin' is our business ("Secouer, c'est notre affaire'', 1953), Rock-a-beatin' boogie ("Le boogie du battement qui secoue", 1954), Get out the
car ("Sors la bagnole", 1955), et d'autres encore.
(Un morceau qui ne casse pas des briques quant à la musique, mais qui présente un intérêt certain pour les docteurs en rien confirmés, est
Say hey - "Dites ohé" -, enregistré avec Willie Mays en 1954, l'été où Mays fut élu meilleur joueur de la Ligue Nationale de base-ball. En tout cas,
ça fout K.O. Mickey Mantle et Teresa Brewer .)
-Mickey Mantle (1931-1995), célèbre joueur de base-ball, enregistra en 1956 un duo à sa propre gloire avec la chanteuse Teresa Brewer,
qui eut un certain succès.-
Mais le meilleur disque des Treniers fut ce défi à la bienséance qu'ils enregistrèrent à Chicago vers la fin de l'année 1952:
I don't wanna eat and I don't wanna sleep;................J'veux pas manger et j'veux pas dormir
I got a yen that l'm dyin' to please,..........................Y a un truc qui me fait tellement envie
Till I get weak in the knees....................................Qu'j'en ai les genoux qui flageollent
Gonna get me that poon-tang!................................Faut que j'me trouve du poon-tang
Poon-tang, poon-tang, poon-tang ............................Poon-tang,poon-tang,poon-tang
Tel était le plaintif Poon-tang ! La face B, Hi-yo, Silver ("Hue-dia, Silver"), toute en batterie, saxophone et chant, évoquait moins le Ranger Solitaire
que le seigneur enturbanné qu'on célébrait sur les hauteurs de Dooji Wooji (argot américain désignant l'héroïne) :
Hi-yo, hi-yo, Silver, ride;....................................................Hue-dia, hue-dia, Silver, trotte
Hi-yo, hi-yo, Silver, ride.....................................................Hue-dia, hue-dia, Silver, trotte
Hi-yo, hi-yo, Silver, ride.....................................................Hue-dia, hue-dia, Silver, trotte
Hi-yo, hi-yo, Silver, ride.....................................................Hue-dia, hue-dia, Silver, trotte
Now, l'm the !one stranger from across the cracks;.....................C'est moi l'inconnu solitaire qu'on voit sur les routes
I got a pocketful of money and a Cadillac................................J'ai les poches pleines de fric et une Cadillac
Just sit in the sadclle and hold on tight...................................Assieds-toi sur la selle, poupée, et tiens-toi bien fort
Cause, baby, we're really gonna rock tonight.............................Parce qu'on va vraiment se secouer ce soir
.
"Les Treniers restèrent chez Okeh jusqu 'en 1955, année où Columbia arrêta d'exploiter cette marque. Ils firent ensuite quatre simples chez Epic
ainsi qu'un album, The Treniers on TV ("Les Treniers à la télé"), qui sortit pendant l'été 1955· Même si quelques-uns de leurs disques s'étaient
assez bien vendus - Go! go! go!, Hadacol, that's all, Get out the car -, aucun ne fut vraiment un tube. Ce qui clochait, d'après Claude Trenier, c'était
qu'ils étaient avant tout un groupe de scène. En studio, le feu et la folie disparaissaient en grande partie. Sur scène, les Treniers étaient capables
de s'arrêter en plein milieu de Hi-yo, Silver pour se lancer dans une parodie du tube de Julius La Rosa, Eh cumpari ("Hé, compère"), transformé en
Eh, cumpari,you ain't nothin' but a hound dog ("Hé, compère, t'es rien d'autre qu'une crapule"), pour revenir ensuite à Hi-yo, Silver.
Ils faisaient souvent ça en 1953; mais ce n'était pas le genre de choses que l'on pouvait aisément transposer sur disque.
En 1956, le groupe grava deux simples pour Vik, et trois pour Brunswick l'année suivante; en 1958, deux simples pas terribles et un album,
The Trenier souvenir album , chez Dot. (Cette année-là, les Treniers firent aussi la première partie de Jerry Lee Lewis pendant sa désastreuse tournée
en Angleterre .) Ils enregistrèrent un simple pour la firme DOM en 1959; quatre ans plus tard, un embarrassant After hours bossa nova
("Bossa nova en fin de soirée") chez Hermitage; puis, en 1964, un dernier simple chez Ronn.
Mais l'heure de la fin n'avait pas encore sonné. Des types qui en savent long sur rien du tout ne se laissent pas abattre aussi facilement.
Les Treniers continuèrent à secouer les clubs et à se faire du pognon, essentiellement à Las Vegas, aux Caraibes et à Atlantic City. Au milieu des
années soixante-dix, ils sortirent deux albums chez Mobile, la firme qu'ils avaient fondée: The Treniers live and wild at the Flamingo
("Les Treniers, sauvages et en public, au Flamant Rose") et The Fabulous Treniers ("Les fabuleux Treniers") .
Ces deux disques tiennent mieux la route que la plupart des autres productions de cette décennie stupide et négligeable.
Le groupe existait toujours dans les années 80. Claude et Cliff, Buddy et leur neveu Skip chantent (Milt s'en est allé ouvrir un club à Chicago);
le fidèle Don Hill joue toujours du saxophone alto; Jack Bolland est au piano, Stan Richards à la guitare, Chip Cole à la basse, et Dave Akins
à la batterie. Lorsque Don Hill s'est assis à sa table pour remplir sa feuille d'impôts en 1982, il s'est aperçu que les Treniers avaient joué trois cent
soixante-cinq soirs en 1981. La veille du jour où j'ai rencontré Claude, les Treniers avaient rempli la salle du Resorts International .
A l'âge de soixante-trois ans, Claude Trenier pensait que lui et ses frères pourraient encore se produire pendant une dizaine d'années avant
de mettre la clé sous la porte. Avec le recul, il était bien conscient du fait que les Treniers jouaient du rock'n'roll longtemps avant que la plupart
des gens ne sachent quel nom lui donner.
- Je me rappelle qu'on jouait au Riptide - "les Remous"- à Wildwood, dans le New Jersey, pendant l'été 1950.
Bill Haley avait un groupe de cow-boys qui s'appelait les Saddlemen - "les Hommes à Cheval" -;ils jouaient juste en face, de l'autre côté de la rue.
Il venait nous regarder jouer. Il nous a demandé comment on appelait cette musique.
Et on lui a dit.
Bordel, on lui a dit.
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Petit retour sur le Hadacol dont on parle plus haut :
Le Hadacol était une boisson fabriquée et vendue de 1945 à 1952 par Dudley LeBlanc (1894- 1971). C,était une mixture à base de vitamines,
de sels minéraux et de miel, alcoolisée à 12 %. Il,appela Hadacol, acronyme de HAppy DAy COmpany avec un L pour LeBlanc.
Cette boisson était aussi alcoolisée que du vin mais coûtait quatre fois plus cher (5,30 $) et son goût était infiniment plus infect, si bien que
les gens pensaient qu'elle devait être bonne pour la santé. [...] En 1949, LeBlanc se mit en cheville avec Murray Nash, chef de la division Sud
de la firme Mercury. (...] Nash flaira la bonne affaire et fit emegistrer deux odes au Hadacol, l'une pour le marché country (Hadacol boogie
par Bill Nettles, entré dans le classement en juin 1949), l'autre pour le marché rythm'n'blues (Hadacol bounce, par Professor Longhair ).
[...] LeBlanc [...] parraina la tournée ''Santé et bonheur'' de Hank Williams en octobre 1949.
[...] En 1950, LeBlanc (...] devint le plus gros annonceur national derrière Coca-Cola. (Colin Escott, Hank Williams: the biography, 1994,p.169-170.)
La firme fit faillite en 1952.
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13-Les oubliés du R'n'R " Les TRENIERS "
- hencot
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