LOUIS PRIMA
Le rythme zozo est né
LOUIS PRIMA parlait souvent d'écrire un livre sur sa vie et son temps. S'il avait mis ce projet à exécution, ceux qui veulent honorer sa mémoire
n'auraient pas à se contenter des maigres paragraphes bâclés qui vont suivre. Et remarquez bien que, sans moi et mon cœur tendre, ils n'auraient
même pas cela à se mettre sous la dent.
Prima annonçait les temps à venir du Rock'n'Roll Ridicule. Il a perçu et pratiqué, dans toute sa gloire de tranche napolitaine, l'esprit de l'Amérique
post-culturelle, collée à sa télévision. Son meilleur des mondes n'était pas fait d'or et de marbre de Carrare, mais de chrome et de linoléum; les mots
qu'on y entendait n'étaient pas un discours plein de sens, mais du jargon branché (pourquoi se soucier des mots, puisqu'on pouvait les remplacer
par du bruit ?). C'était un monde qui se résumait aux pouffiasses, à la gnôle et à l'oseille, avec plein de spaghettis sur les côtés. C'était le monde
moderne, l'absurde Eden préfabriqué auquel le rock'n'roll doit en partie son existence et sa forme. Entendre Louis Prima chanter, ce n'est pas
seulement commencer à comprendre ce monde : c'est aussi découvrir pourquoi aucun mec en costume de tweed n'a jamais pu tirer un coup à moins
de quinze kilomètres du centre-ville de Newark .
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Pour éviter le sensationnalisme facile, je ne mentionnerai pas les actes licencieux qui ont conduit à la naissance de M. Prima, ne faisant
commencer mon récit qu'à l'heure de sa mise au monde. Il naquit le 7 décembre 1910 à la Nouvelle-Orléans. Il étudia le violon pendant sept ans et,
à l'âge de dix ans, obtint le premier prix dans un concours de violonistes amateurs. Alors qu'il était encore jeune, pur et incapable de commettre
le moindre acte licencieux, il rangea son violon et porta une trompette à ses lèvres. A l'âge de douze ans, Louis, en compagnie de Leon, son frère de
quinze ans, dirigeait son propre groupe, jouant, dès que l'occasion s'en présentait, un peu partout dans la Cité du Croissant (Crescent City , surnom
de la Nouvelle-Orléans)
Après être sorti, son bac en poche, du lycée jésuite de la ville, Louis se mit à jouer régulièrement au Saenger Theatre avec son groupe, qui
s'appelait alors The Collegiates - "les Lycéens". Lorsque son frère ouvrit une boîte de nuit, Beverly Gardens - ""les Jardins de Beverly"" -, Louis fut le
premier artiste à s'y produire; jusqu'en 1930, le jeune homme à la trompette partagea son temps entre le Saenger Theatre et Beverly Gardens.
Déjà son innocence n'était plus qu'un souvenir. Il épousa bientôt une jeune dame nommée Louise Polizzi. Ce qui se passa pendant leur nuit de noces,
je vous laisse l'imaginer. Sa ville natale ne lui suffisait plus. Son appétit de vivre était grand.
En 1932, Prima déménagea à Cleveland (Ohio), où il joua brièvement avec Red Nichols. En septembre 1933, il partit pour Chicago et y enregistra
deux chansons avec deux autres musiciens pour la firme Bluebird . Ces enregistrements - des versions brûlantes de Chinatown et de Dinah -
sortirent sous le nom approprié de Hotcha Trio (on joue ici sur la ressemblance du mot hot "brûlant" et de l'interjection hotcha "super").
En août 1934, Prima se rendit à New York pour y monter un septette : Louis Prima & his New Orleans Gang ("Louis Prima et sa Bande de la
Nouvelle-Orléans"). Ils commencèrent à enregistrer pour Brunswick-Vocalion en septembre. En mars 1935, ils jouaient régulièrement dans l'un des
clubs de jazz les plus prestigieux de la ville, le Famous Door (""la Célèbre Porte""), récemment ouvert dans la 52• Rue.
En 1936, il alla sur la Côte Ouest, à Los Angeles, où il exploita avec succès ses talents musicaux et sa faccia brutta (sa sale gueule) dans plusieurs
films. Il y eut d'abord le court métrage de la RKO, Swing it ("Swinguez-moi ça"), suivi de plusieurs longs métrages: Rhythm on the range ("Du rythme
dans la prairie", 1936); You can't have everything ("On ne peut pas tout avoir", 1939); Start cheering ("Commencez à applaudir", 1938), avec Broderick
Crawford et les Three Stooges - "les Trois Demeurés" -; et Rose of Washington Square ("Rose de Washington Square", 1939), avec Tyrone Power et
Al Jolson. En février 1936, pendant qu'il était en Californie, il écrivit et enregistra en février 1936 Sing, sing, sing ("Chante, chante, chante"), que la
version de Benny Goodman rendit célèbre l'année suivante. La dernière séance de Prima pour Brunswick-Vocation eut lieu durant l'été 1937.
En janvier 1938, il enregistra pour Decca à New York, puis de nouveau en décembre, à Los Angeles.
Prima enregistra pour la firme Varsity - "la Fac" - en janvier 1940. Il avait désormais acquis la maîtrise d'un style vocal à nul autre pareil. Son chant
était, tout comme sa musique, influencé par le jazz, mais il frappait par son caractère incontestablement étrange. Prima chantait en anglais, certes;
mais c'était un anglais truffé de l 'argot napolitain qu'il avait pratiqué durant sa jeunesse de rital. Quand il ne savait plus quoi dire, il se mettait tout
simplement à produire des sons bizarres. Bien avant l'apparition de Little Richard, les gens s'asseyaient pour écouter les disques de Louis Prima en
se demandant ce que les paroles pouvaient bien vouloir dire.
Pour ses enregistrements chez Varsity, il rebaptisa son groupe Louis Prima & his Gleeby Rhythm Orchestra -"Louis Prima et son Orchestre du
Rythme Zozo", (le mot gleeby ne veut rien dire mais il évoque l'adjectif glib "désinvolte,facile,à l'aise,qui ne tire pas à conséquence" et
le substantif glee "joie,jubilation")
"Fort logiquement, l'une des premières chansons qu'il enregistra sous ce nouveau nom portait ce titre mystérieux:
Gleeby rhythm is born ("Le rythme zozo est né").
Gleeby rhythm is born,----------------------Le rythme zozo est né
Gleeby rhythm is born;----------------------Le rythme zozo est né
Gleeby rhythm cornes on,-------------------Le rythme zozo arrive
Gleeby rhythm cornes on;-------------------Le rythme zozo arrive
Oh, gleeby rhythm is born.------------------Oh,le rythme zozo est né
The gleebs are rompin',----------------------Les zozos s'éclatent
The gleebs are stompin';---------------------Les zozos tapent du pied
Oh, gleeby rhythm is born.------------------Oh,le rythme zozo est né
La plupart des hommes se seraient contentés de s'endormir sur leurs lauriers après un tel sommet. Pas Louis. Il continua de souffler et de mugir,
en essayant de découvrir le rythme plus-que zozo. Il passait d'une maison de disques à l'autre comme si elles étaient en barbe-à-papa. Il fit une
deuxième séance pour Varsity, au printemps 1940; un disque chez Okeh en septembre 1941; puis, en 1943, il passa chez Hit - "Tube" -, pour qui il
enregistra Oh Marie et Angelina, qui inaugurèrent la longue série de chansons ritales mutantes qui allaient le rendre célèbre. (C'est également
en 1943 que Louis enregistra, avec grand orchestre, son Just a gigolo -"Rien qu'un gigolo" - enchaîné avec I ain't got nobody "Je n'ai personne",
pour la maison de disques des forces armées, V-Disc, "les Disques V (comme Victoire].) En 1944, Hit céda la place à la firme Majestic , chez qui
Louis resta jusqu'en 1947, et c'est là qu'il fit son premier tube, Bell-bottom trousers ("Les pantalons à pattes d'éléphant"), pendant l'été 1945.
Il réenregistra pour Majestic "Just a gigolo", puis une reprise de la chanson de Louis Jordan ,Caldonia, et redonna vie à Sing, sing, sing.
C'est pendant la période Majestic que le torrent de charabia commença à débouler pour de bon : outre des rééditions de Oh Marie et d'Angelina
(la matrice du disque Hit fut recyclée trois fois par Majestic; la firme Varsity rénovée, dirigée par Eli Oberstein - le patron de Hit -, la ressortit
une quatrième fois, en 1949), il y eut ,Please no squeeza da banana ("S'il te plaît, n'écrabouille pas la banana"), Felicia no capicia ("Félicia ne
comprend pas"), Baciagaloop (makes love on the stoop) ("La Balourde Bacia fait l'amour sous la véranda"), et bien d'autres.
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Durant l'été 1947, il passa chez RCA-Victor, grava un tube à l'automne intitulé Civilization ("Civilisation"), attrapa le SDS - Syndrome du Dialogue
Significatif - avec Say it with a slap ("Dites-le avec des baffes") puis, au printemps 1949, fit ses premiers disques en duo avec Keely Smith.
En 1949 et 1950, il enregistra seize morceaux pour la firme Mercury, dont le poignant Tears on my tie ("Des larmes sur ma cravate"). Il sortit une
derni douzaine de simples fin 1950 et début 1951, incluant le tube Oh, babe ! ("Oh, poupée!") - repris par Wynonie Harris -, Good boogdi-googi
("Bon boogdi-googi") et Pizza and beer ("Une pizza et de la bière"), sur sa propre firme, Robin Hood - "Robin des Bois". Il gagnait quelques
dollars dans chacune de ces maisons de disques, puis il allait voir ailleurs. Rien ne paraissait pouvoir le retenir. (Il passait aussi d'une femme
à une autre avec désinvolture. Après avoir divorcé de la Polizzi, il épousa une certaine Alma Raase. Il divorça et convola avec Tracelene Barrett,
une secrétaire de vingt et un ans, en juin 1948. Les actes licencieux engendrent peut-être une dépendance chez certains d'entre nous. Mais, hélas,
nous n'avons pas le temps de nous arrêter ici pour méditer sur cette question, ni pour pleurer. A l'image de l'homme dont nous honorons la mémoire,
il nous faut avancer.)
En octobre 1951, Prima signa un contrat avec la firme Columbia, chez qui il enregistra quelques-unes de ses œuvres les plus énigmatiques et les
plus admirables, telles que The bigger the figure ("Plus grosse est la silhouette", 1952), hommage salace aux grosses pouffiasses chanté sur l'air
du "Largo al factotum" du Barbier de Séville de Rossini. (La face B, Boney bones - "Les os du squelette" -, parlait d'une dame nettement plus svelte.)
C'est également en 1952 que Prima se maria pour la quatrième fois, l'heureuse élue étant cette fois une fille de vingt ans native de Virginie,
Dorothy Keely Gambardella - plus connue sous le nom de Smith -, qui travaillait avec lui depuis la fin de l'année 1948. (Keely Smith n'était pas la
première chanteuse engagée par Prima. Dès 1939, il chantait des duos avec Lily Ann Carol, appelée sur les affiches Miss Personalit:y of Song,
"Mlle Personnalité de la Chanson". Il la remplaça en 1947 par Cathy Allen, dont le vrai nom était Catherine Ricciardi.)
Prima resta chez Columbia jusqu'en 1953, sans y enregistrer aucun tube. Cela n'avait guère d'importance puisque, en 1954, le duo
Louis Prima-Keely Smith était l'une des attractions les plus populaires de Las Vegas. Leur cachet s'élevait à près de dix mille dollars par semaine
lorsqu'ils jouaient au Sahara. (Une publicité pleine page pour le Sahara dans un numéro du magazine Variety paru en décembre 1955 révélait
l'opinion de Howard Hughes en personne à propos de Prima et Smith: "Plus je les vois, plus je les aime." Voilà un gars qui savait manier les mots.)
Une intéressante anecdote concernant Louis Prima à Las Vegas figure dans le livre d'Ovid Demaris, The Last Mafioso: the treacherous world of
Jimmy Fratianno ("Le Dernier Mafieux: le monde périlleux de Jimmy Fratianno", 1981). Elle est racontée par l'associé de Fratianno, John Roselli:
- Ça, c'est un truc qui me tue. Un jour, Beldon voit un croupier avec un œil au beurre noir. Le gars lui raconte qu'il était en train de sauter Keely
dans le vestiaire quand, soudain, il s'aperçoit que quelqu'un est en train de lui lécher les couilles. Il se retourne et Louis lui envoie un coup de poing
dans l'œil.
Après la période Columbia, Louis enregistra un simple chez Jubilee - "Fiesta" -, deux autres chez Equiry - "Egalité" -, firme un peu incertaine, et
encore deux autres chez Decca. Vers la fin de l'année 1956, il signa chez Capitol. En 1958, il fit son premier tube depuis huit ans, une version digne
d'un tueur en série de That old black magic ("Cette vieille magie noire"), en duo avec Keely Smith. Un nouveau tube chez Capitol lui succéda:
l've got you under my skin ("Je t'ai dans la peau"), en 1959. Louis et Keely furent cette année-là les vedettes du film Hey boy! Hey girl!
("Hé, le garçon! Hé, la fille!"), puis, au printemps, ils quittèrent Capitol pour Dot . Louis y enregistra un émouvant hymne à sa quéquette,
My cucuzza (1959), ainsi que le pire tube de sa carrière, Wonderland by night ("Le pays des merveilles la nuit", 1960). Il est vrai qu'à l'âge de
cinquante ans, Louis paraissait perdre la puissance qui avait été la sienne autrefois. Le rythme zozo était presque éteint.
Le duo Prima-Smith prit fin en octobre 1961, quand Keely entama une procédure de divorce pour "cruauté mentale extrême".
Le commentaire de Prima fut laconique :
- Eh, fucka the Irish troia, eh ! ("Hé, qu'elle aille se faire mettre, cette pute irlandaise!")
Sam Butera s'associa avec Prima, qui engagea une nouvelle pouffiasse, Nica Ventura, pour le seconder au Desert Inn - "!'Auberge du Désert" -
en janvier 1962. (Keely fit ses débuts en solo quatre mois plus tard, en mai, au Riviera.) Il retourna aux sources en se produisant au mois de mars
1962 dans le vieux Saenger Theatre de la Nouvelle-Orléans . Signant à nouveau chez Capitol, il grava le dernier grand album de sa carrière,
The Wildest comes home ("Le Plus Sauvage de Tous rentre à la maison"), sorti en juin de cette même année. Mais il ne fit plus aucun tube,
et peu à peu M. Prima ne fut plus qu'un souvenir, sauf dans le cœur des fidèles qui se rassemblaient devant lui à Las Vegas et à Tahoe (Californie)
pour l'entendre chanter ses paroles magiques.
I got a gal, she's six an' a halffeet tall;-----------------------------J'ai une gonzesse,elle fait deux mètres de haut;
Y'oughta see my baby, she's six an' a half feet tall ;--------------Tu devrais voir ma chérie,elle fait deux mètres de haut;
She sleeps wit' her head in the bed----------------------------------Elle dort avec la tête dans le lit
An'her -oo -came si chiama in the hall.-----------------------------Et son-ouh,comment ça s'appelle ? dans le salon.
En 1965, il épousa Gia Maione, qui chanta avec lui et avec qui il accomplit l'acte. Les dix années suivantes passèrent comme dans un rêve,
le grand homme étant réduit à des extrémités telles que prêter sa voix au Roi Louis, l'orang-outan du dessin animé de Walt Disney Le Livre de
la jungle (1969). Il pondit des disques minables chez Hanna Barbera, Buena Vista, ABC, Kama Sutra, Gallery et, pour finir, pour sa propre firme,
Prima, sise à Las Vegas. Il fit paraître, dans un ultime et glorieux sursaut de folie furieuse, The Prima generation '72 ("Génération Prima 1972"),
qui comportait un magnifique exemple de baragouin surréaliste - la .version sans refrain, chantée par le bassiste Rolly Di Iorio, de I left my heart
in San Francisco ("J'ai laissé mon cœur à San Francisco") - ainsi qu'une interprétation accélérée, chantée par Prima, de Cold, cold heart
("Cœur si froid") de Hank Williams.
En octobre 1975,on ouvrit le crâne de Louis Prima pour lui retirer une tumeur cérébrale. Il tomba dans le coma et resta étendu, silencieux et
immobile, dans une clinique de la Nouvelle-Orléans jusqu'à ce jour ensoleillé et brûlant du 24 août 1978, où il mourut.
Il emportait avec lui le rythme zozo et quantité d'autres choses.
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les suivants : Ming et Ling Les péquenauds Chinois !!!!
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11-Les oubliés du R'N'R "Louis PRIMA"
- hencot
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