Funambule a écrit :
Pour Keith Jarrett, The Survivor suite, c'est un des disques qui m'a le plus ému et surpris (en bien) lorsqu'il est sorti.
Je me souviens de où et quand je l'ai acheté et surtout du choc ressenti à la première écoute.
La section rythmique Charlie Haden Paul Motian est divine.
Je me l'étais acheté pour mes 18 ans.. ça va faire 34 ans.
J'aime beaucoup aussi le Tales of another sorti l'année suivante qui est très différent.
Et puis ces pochettes et ce son ECM !!
"the most beautiful sound next to silence" a longtemps été la signature du label ECM en exergue de leurs catalogues à la fois sobres et somptueux.
tout comme toi, j'ai grandi en jazz avec ECM à l'écoute de keith jarrett, pat metheny, eberhardt weber, jan garbarek, gary burton...
mon premier album ECM fut "bright size life" de pat metheny, en trio avec jaco pastorius (b) et bob moses (d) sorti en 1976.
j'ai alors 15 ans et tout juste découvert weather report - le groupe majeur de jazz-rock, héritier de l'esprit fusion électrique de miles davis - où pastorius vient de révolutionner la basse électrique sur une fender fretless.
pastorius, weather report... le groupe et l'oeuvre méritent un thread dédié (promis

je m'y attelerai...) mais revenons donc à ECM.
à force de lui rabattre les oreilles avec pastorius, un copain guitariste me conseille alors le premier album de metheny, jeune virtuose de 21 ans à peine sorti de la prestigieuse berklee school of music de boston mais déjà affuté comme sideman du vibraphoniste gary burton, qui signe avec enthousiasme les notes de pochette de "bright size life". metheny compose tous les sublimes tracks de l'album - à l'exception du round trip/broadway blues d'ornette coleman, autre mentor génial avec qui il enregistrera un album de duos impressionnant - et atypique dans la production du guitariste - "song X" en 1985, pour ecm évidemment.
selon certaines sources, l'album serait une démo de metheny "récupérée" par ecm... mais les infos indiquent bien un enregistrement au tonstudio bauer de ludwisburg par l'immense martin wieland aux manettes - "l'autre" ingénieur du son emblématique du label, avec le norvégien jan erik kongshaug (qui est aussi guitariste) - et le son "naturaliste" emblématique du label, notamment sur les prises de batterie - tend plutôt à valider la production de manfred eicher. ou alors on aimerait bien connaître comment metheny enregistrait ses démos :cpasmoi!:
en 1976 donc, tandis que mes copains de classe s'éclatent sur les sex pistols, le son ECM est pour moi une véritable claque - ou plutôt caresse - musicale et la découverte d'un jazz européen ignoré jusqu'ici (je découvrirai bien plus tard l'héritage MPS, BASF, etc) avec un répertoire nouveau et expérimental ecm dessine une cartographie nouvelle, à la fois mystérieuse et exotique, peuplée de colosses blonds aux patronymes imprononçables (eberhardt - say what? weber, palle daniellson - atchoum!), jalonnée de studios d'enregistrement qu'on imagine perdus dans les neiges...
le design moderne et minimaliste des pochettes contribue à cet univers glacé et immaculé, renforcé par quelques clichés de verso en noir et blanc où les musiciens battent la semelle comme pour se réchauffer, la brume aux lèvres, sur le parking du studio, entre deux bouleaux et une congère.
dès lors, chaque nouvel album ajoutera pour moi à la fois à la superbe et au mystère du label, m'obligeant à des choix cruels car les sorties se multiplient, notamment avec le succès planétaire de keith jarrett et metheny, qui ouvre la voie aux pointures u.s (michael brecker, jack de johnette, john abercrombie, john scofield...) découvrant en europe un public et un espace de création en voie d'extinction outre-atlantique. chez ecm chaque sideman de renom signe son album solo, tout le monde joue avec tout le monde et malgré mes efforts il me devient impossible de suivre le rythme des sorties...
le "tales of another" de gary peacok (avec jarrett et de johnette) est l'album séminal du trio de jazz majeur des années 80 et manfred eicher inventera la world music avant tout le monde en signant egberto gismonti, codona (colin walcott, don cherry, nana vasconcelos), zakir hussain puis l.shankar (découverts avec shakti/john mclaughlin)
ecm marquera ensuite son éclectisme en révèlant une création musicale contemporaine hors les sentiers du jazz avec les ecm new series (albums d'arvo pärt notamment), une direction initiée dès 1978 avec l'album de steve reich " music for 18 musicians".
ECM reste un des labels les plus en pointe musicalement, avec la sortie au printemps dernier de re:ecm de Ricardo Villalobos & Max Loderbauer, une relecture électro minimaliste du catalogue récent du label et un de mes albums essentiels de 2011. à noter que presque tous les albums et nouveautés sont disponibles en vinyl.