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27- Les oubliés du R'n'R : " Johnny ACE "

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hencot
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27- Les oubliés du R'n'R : " Johnny ACE "

Message par hencot »

JOHNNY ACE

Numéro un avec une balle (ok jeu de mot un peu limite)

C'est la mort qui a amené le garçon appelé Johnny Ace dans ces pages. Il était différent de ses prédécesseurs; il ne fréquentait pas le Diable depuis
son plus jeune âge. Il fut le premier ange déchu, le premier orphelin errant du rock'n'roll, avalé et recraché par la gloire avant même d'avoir pu lire
les paroles de Virgile écrites au dos des billets d'un dollar.
John Marshall Alexander Jr. vint au monde le 9 juin 1929 à Memphis (Tennessee). Il était l'un des six fils et des trois filles qu' engendrèrent le
révérend et Mme John Alexander. Comme la plupart des fils de prédicateurs, Johnny jouait du piano. Il fréquenta l'école primaire La Rose, puis le
lycée Booker T. Washington. Il s'enrôla dans la marine à la fin de la Deuxième Guerre mondiale . Après avoir fait ses classes, il partit en garnison à
Orange (Virginie). La pièce d'eau la plus proche était le lac Anna. Il se maria et eut deux enfants. Le fils reçut le nom de Glenn, la fille celui de Sandra.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, enlisée dans le bien-être de la classe moyenne; mais ce ne fut pas le cas.
A la fin de l'année 1949, Johnny était devenu membre des Beale Street Blues Boys - "les Garçons du Blues de Beale Street" -, un important groupe
de Memphis dirigé par le saxophoniste ténor Adolph Duncan. Le chanteur soliste des Beale Streeters était Robert Calvin Bland, âgé de dix-neuf ans,
appelé à connaître la gloire sous le nom de Bobby "Blue" Bland ; le guitariste était Riley King, dit "B.B."
Les Beale Streeters furent le groupe le plus branché de Memphis en 1950 et 1951. Puis, fin 1951, Bobby Bland reçut sa feuille de route; début 1952,
B.B. King, qui s'était mis à enregistrer pour la firme RPM, partit voler de ses propres ailes.
En janvier 1952, juste avant de partir faire son service, Bland grava quatre morceaux pour Modern dans le studio de Sam Phillips.
Johnny l'accompagnait au piano. Ce dernier continua aussi de se produire dans l'émission Beate Street Blues Boys du samedi après-midi sur la
station de radio WDIA . De nouveaux musiciens étaient arrivés, et les Beale Streeters remaniés étaient désormais présentés comme "le groupe
original de B B King. Ce fut au cours de l'un de ces programmes radiophoniques sur WDIA que Johnny, cédant aux instances d'Earl Forrest, se mit à
chanter.
.
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a1.jpg (85.41 Kio) Vu 9250 fois
Juste au même moment, le disc-jockey James Mattis lança la firme Duke dans l'idée de tirer profit des talents locaux qui n'étaient pas encore sous
contrat avec RPM ou l'une des autres firmes auxquelles Sam Phillips vendait ses enregistrements. Johnny signa chez Duke au printemps 1952. Il était
entendu dès le départ qu'il n'apparaîtrait pas sous son véritable nom, afin que son père, le révérend, ne soit pas couvert de honte.
Johnny Ace - "Johnny l'As" -, donc, enregistra un disque qui sortit en juin . Comme la plupart de ceux qui lui succédèrent - il y en eut dix au total -,
il associait une chanson lente et mélancolique ( My song, et un rock dur et bluesy (Follow the rule, "Fais ce qu'on te dit"). 0 merveille, ce disque, enregistré par un garçon dont personne n'avait jamais entendu parler, pour une petite firme du Sud que personne ne connaissait, devint un tube. My song entra dans le classement rhythm'n'blues national pendant la dernière semaine de juillet et grimpa inexorablement jusqu'à la première place. Il ne sortit du classement qu'au bout de cinq mois.
Cross my heart ("Croix de bois, croix de fer"), le deuxième simple de Johnny, fut mis en vente au mois de décembre. Nouveau tube. Ce fut alors
que Don Robey, le Juif Noir qui dirigeait la firme Peacock à Houston depuis 1949, jeta son dévolu sur la maison de disques de James Mattis.
Ce dernier dut bientôt dégager moyennant finance, et Duke devint une filiale de la firme houstonienne de Robey. En mars 1953, Johnny partit en
tournée avec Willie Mae Thornton, dont le Houng dog ("Crapule") récemment enregistré chez Peacock commençait à retenir l'attention.
Le troisième disque de Johnny, The Clock , couplé avec l'instrumentai Aces wild ("Les as en folie"), sortit en juin 1953.
Comme le précédent, il atteignit la première place du classement rhythm'n'blues . Le quatrième, Saving my love for you ("Je garde mon amour
pour toi"), arriva chez les disquaires en novembre. Encore un disque, encore un tube.
Tout cela était vraiment étrange. Ce fils de prédicateur dont les vingt premières années sur la terre n'avaient été qu'une monotone hésitation entre
l'être et le néant - il était même allé jusqu'à s'engager dans la marine sans dépasser Je terminus de la ligne d'autocar - se contentait d'ouvrir la
bouche et de chanter. La gloire et la fortune l'aimèrent instantanément, non pas une seule fois, mais sans discontinuer. On n'avait encore jamais vu
quelqu'un atteindre aussi brusquement une gloire durable, et cela ne se reproduisit pas. C'était vraiment étrange. Ses disques étaient intéressants,
mais pas autant que sa destinée. Ses qualités d'interprète n'étaient même pas exceptionnelles. Au cours du mois précédant la parution de
Saving my love for you, il fit un récital à l'Apollo Theatre de New York. Le compte rendu de ce spectacle dans Variety le jugeait "trop raide, pas assez naturel", et concluait qu'il possédait un doux timbre de baryton mais que, "malheureusement, sa voix n'était pas à la hauteur de ses ventes de disques". Alors, pourquoi ? Il avait attiré davantage de fidèles et leur avait extorqué davantage d'argent que n'importe quel faiseur de sermons protestant
tirant des coups à la sauvette; et il n'y avait aucune explication à cela.
Un cinquième simple, Please forgive me ("S'il te plaît, pardonne­ moi"), vint en mai 1954. Ce fut encore un tube, mais de bien moindre ampleur que ses prédécesseurs. Il ne resta que deux semaines dans le classement rhythm'n'blues et s'arrêta à la dixième place. Le suivant, Never let me go
("Ne me quitte jamais"), fut Je premier disque de Johnny Ace à n'être pas classé. Il sortit en septembre 1954·.A cette date, un autre garçon de
Memphis, Elvis Presley, qui avait écouté les Beale Streeters pendant ses années de lycée, était en route pour devenir la nouvelle idole.
La sortie du septième simple de Johnny, Pledging my love ("Mon gage d'amour"), enregistré avec l'orchestre de Johnny Otis, était programmée
pour la première semaine de la nouvelle année: 1955· Cette chanson avait été écrite pour Johnny par Fats Washington et Don Robey. (Ce sont eux,
en tout cas, qui l'ont signée.) Mais l'auteur de la face B était Johnny lui-même. Ce rock, dur et tapageur, intitulé No money ("Pas d'argent"), était
sans doute ce que Johnny avait fait de meilleur. A la fin de la chanson, il s'exclamait, tandis que derrière lui l'orchestre de Johnny Board portait le
crescendo à son point culminant:

I'm in this world alone ! Je suis seul en ce monde !

Quand le disque sortit, Johnny, seul ou accompagné, n'était plus de ce monde. Ce qu'il avait obtenu, la plupart des garçons de vingt-cinq ans - ou
leurs pères - n'avaient même pas osé en rêver; mais il n'avait pas tout.
La chose se produisit dans les coulisses de l'auditorium de Houston City le soir de Noël 1954, un peu plus d'une heure après qu'il eut signé les
papiers pour l'achat d'une Oldsmobile 1955 flambant neuve. Il était tard, et l'heure de Noël était presque arrivée. Il mit un revolver calibre 32 sur sa
tempe droite, appuya sur la gâchette et expédia toute sa cervelle au royaume des cieux. Ses yeux se remplirent de sang, ses membres fins se
convulsèrent et, selon le témoignage de Willie Mae Thornton, surnommée "Big Marna" ("Grosse Mémère"), qui était présente, "ses drôles de cheveux
se dressèrent comme des épines de porc-épic". Il fut déclaré mort le matin de Noël.
L'histoire officielle nous dit qu'il jouait à la roulette russe.
Johnny Otis, qui fut le producteur, l'arrangeur et l'accompagnateur d'Ace sur pas mal de ses disques, raconta que le chanteur était coutumier du fait.
- Il faisait le pitre avec un pistolet chargé dans sa chambre d'hôtel, à Tampa, au point de faire fondre en larmes son valet de chambre à force de
pointer le pistolet sur lui en riant. J'essayai de lui parler, mais il se contenta de rire, se versa un autre verre et continua de pointer ce putain de truc.
Je me suis rappelé cette mauvaise manie qu'il avait quand Willie Mae m'a raconté ce qui s'était passé. Elle dit qu'il y avait des invités dans la loge,
entre autres un jeune couple. Johnny n'arrêtait pas de pointer son flingue sur la jeune dame, et le gars qui l'accompagnait s'énerva.
Il dit à Johnny: "Arrêtez de faire ça. Si vous tenez absolument à pointer un pistolet chargé sur quelqu'un, pointez-le sur vous."
Alors Johnny pointa le flingue sur sa tempe et appuya sur la gâchette. Il avait l'habitude de jouer à la roulette russe pour faire semblant, mais cette
fois l'erreur lui fut fatale, parce qu'il y avait une balle dans le chargeur.
Il existe une autre version de l'histoire, mais vous ne la verrez pas dans ces pages, car elle met en cause des personnes vivantes qui ont des avocats.
Pledging my love sortit à la date prévue . Le magazine Billboard ne se trompait pas en en faisant "le meilleur achat de la semaine".
La culture populaire a toujours aimé les suicidés. Le disque se plaça immédiatement en tête du classement rhythm'n'blues. En février, il entra dans
les vingt premières places du classement pop. Les chanteurs, les auteurs-compositeurs et les maisons de disques se ruèrent vers l'or que contenait
sa tombe. Il y eut d'abord Johnny has gone ("Johnny est parti") par Varetta Dillard, sorti chez Savoy dès la mi-janvier.La firme Hollywood dégaina
presque aussi vite, mettant sur le marché un disque d'hommage avec, sur une face, Why, Johnny, why ("Pourquoi, Johnny, pourquoi ?") par les
Johnny Moore's Three Blazers avec la chanteuse Linda Hayes, et sur l'autre face Johnny Ace's fast letter ("La dernière lettre de Johnny Ace") par
Frankie Irwin. Une reprise de cette même chanson par Johnny Fuller sortit tout de suite après chez Aladdin . Music City mit en vente Salute to
Johnny Ace ("Salut à Johnny Ace"), par les Rovers . Du quartier général de Don Robey, à Houston, sortit un simple sous la marque Peacock intitulé
In memory ("A sa mémoire"), par le Johnny Otis Orchestra et Marie Adams. Mais le plus grotesque, le plus pitoyable de tous fut sans doute le simple
commercialisé par King le 10 février, qui comportait sur la face A Johnny has gone ("Johnny est parti"), et sur la face B : Johnny's still singing
("Johnny chante encore"), par les Five Wings . La face A expliquait que Johnny était monté au ciel parce que les anges, ayant entendu
Pledging my love avant sa sortie, avaient tellement aimé la chanson qu'ils avaient décidé de recruter Johnny pour qu'il vienne leur donner
une représentation de gala. La face B garantissait aux auditeurs que "Johnny chante encore, quelque part, tout là-haut". Les exemplaires promotionnels
du disque arrivèrent chez les disc-jockeys avec un communiqué les informant que "les Five Wings" viennent de New York et chantent le soir après
leur journée de travail. [...) Ils ont été choisis pour chanter ces chansons spécialement écrites. [...) Chacune des faces de ce disque est une stèle
commémorative digne d'Ace.
Il faut espérer que les Five Wings n'ont pas été stupides au point de laisser tomber leur gagne-pain pour se consacrer à la chanson.
Le numéro de Rhythm and blues d'avril 1955, sorti en février, comportait le panégyrique suivant:
"Le 24 décembre 1954, Johnny Ace a entendu l'appel du Grand Au-Delà. Bien qu'il nous ait quittés, sa musique restera avec nous pendant toutes les
époques à venir afin de nous rappeler le chanteur merveilleux et l'homme merveilleux qu'il était. Notre Johnny est parti, mais il ne sera jamais,
jamais oublié."
Tu parles.
Anymore ("Encore"), un disque sur lequel Johnny jouait du vibraphone et non du piano, sortit en juin. Don Robey porta le coup de grâce en juillet
1956, quand Duke mit en vente un ultime disque posthume: un simple intitulé Still love you so ("Je t'aime encore tellement"). Ce disque Duke 154 fut lancé en même temps que Duke 155, interprété par un certain Buddy Ace. "Complétez votre collection avec ce DERNIER disque du GRAND chanteur,
le REGRETTÉ JOHNNY ACE ", implorait la publicité. "Commencez votre collection avec le PREMIER disque de ce nouvel artiste d'exception."
Nul ne saura jamais ce qui s'est vraiment passé à Houston en ce lointain soir de Noël. A supposer que cet accident n'ait rien à voir avec l'argent
-et je pense qu'il n'avait rien à voir avec l'argent -, nous ne pouvons que nous demander pourquoi Johnny appuya sur la gâchette.
Il devait certainement y avoir une façon moins catastrophique de résoudre le problème des achats de dernière minute pour Noël.
Non, je pense que la vraie raison est plus profonde .
Une seule chose est certaine : il ne pensait sûrement pas aux étrennes du concierge.
Finalement, la question que je me pose réellement est celle-ci : qui a pris l'Oldsmobile ?
On n'en fait plus des comme ça, de nos jours .
.
A suivre : le dernier de cette série "Esau SMITH "
.
Alain..

Site sur le son et l' enregistrement de Claude Gendre http://claude.gendre.free.fr/
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