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22-Les oubliés du R'n'R : " Jackie BRENSTON "

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hencot
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22-Les oubliés du R'n'R : " Jackie BRENSTON "

Message par hencot »

JACKIE BRENSTON

Chez le marchand de vin, en grand style

L'EXEMPLAIRE capitaliste chrétien Sam C. Phillips, père fondateur de ces grandes institutions du Memphis des années cinquante que furent les
disques Sun et les hôtels Holiday Inn - "l'Auberge des Vacances" -, considérait, dit-on, qu'un certain disque paru en 1951 - et que, par une
inexplicable coïncidence, il avait lui-même produit - fut le premier vrai disque de rock'n'roll jamais enregistré; cette formule, depuis lors, a été
maintes fois répétée. Elle est certainement fausse, puisque "le premier disque de rock'n'roll" n'existe pas davantage que "le premier roman
moderne". Il n'en reste pas moins que le disque en question était habité par un son et une fureur dont la nouveauté radicale le distinguait de tout
ce qui l'avait précédé. En un sens, il peut être considéré comme le grand tournant, l'embarquement du rock'n'roll des années quarante vers un
meilleur des mondes rempli de pantalons fuseau, de cigarettes filtre et de Medalo Bops (marque de lunettes de soleil en vogue chez les branchés
de l'époque) : il s'agit de Rocket "88", par Jackie Brenston & his Delta Cats - "Jackie Brenston et ses Gars du Delta".
Jackie Brenston naquit le 15 août 1930 à Clarksdale (Mississippi), la cité du Delta où la route 49 croise la route 61. Depuis le début du siècle,
Clarksdale était l'une des villes du Sud les plus fertiles sur le plan musical. C'est à Clarksdale, dans les bouis-bouis de banlieue, que Son House,
Charley Patton et Robert Johnson mirent au point la recette de leur magie démoniaque. (Et c'est là, d'après le témoignage de House, que Johnson
vendit son âme au Diable, une nuit, au croisement des routes (allusion à la chanson de Robert Johnson intitulée Crossroads).)
C'est à Clarksdale que Muddy Waters, qui avait grandi en écoutant ces hommes et en se mettant à leur école, fit quelques-uns de ses premiers
disques, et c'est là que John Lee Hooker et Eddie Boyd naquirent.
Falsifiant sa date de naissance, Brenston s'engagea dans l'armée en 1944· En 1947, de retour à la vie civile et à Clarksdale - car qui peut résister
à la séduction de la Quatrième Rue, même après avoir parcouru de bout en bout le vaste monde ? -, il s'acoquina avec un personnage local du nom
de Jesse Flowers, qui buvait et jouait du saxophone. Flowers aida Brenston à explorer les possibilités les plus infâmes de cet instrument.
A la fin de la décennie, Brenston, fier possesseur du plus resplendissant des saxophones d'occasion de tout le comté de Coahoma, avait achevé
sa quête.
Les choses en étaient là quand intervint Isaiah Turner, un disc-­jockey de dix-huit ans qui portait les costumes les plus resplendissants de tout
Clarksdale. Il avait, lui aussi, un groupe, dans lequel il jouait du piano et chantait quelquefois. Il avait vu Muddy Waters quitter le comté de
Coahoma et continuer à faire des disques ,l'un d'eux Louisiana blues ("Le blues de la Louisiane") était en train de devenir un tube , pour la firme
Chess. Il ne voyait pas pourquoi il ne pourrait pas en faire autant, d'autant plus qu'il était bien mieux habillé que cet ancien cueilleur de coton.
Quand 1950 devint 1951, Ike Turner fut prêt à entamer une carrière discographique. Il n'y avait qu'un seul problème . Son chanteur, Johnny O'Neal,
venait d'être engagé par la maison de disques King et avait mis les bouts, laissant les autres membres du groupe ôter les peluches de leurs vestons.
Debout au coin de la Quatrième Rue. Ike regarda autour de lui et trouva Jackie Brenston . Il lui dit de s'acheter un costume resplendissant et d'écrire
quelques chansons; le chemin de la gloire s'ouvrait devant eux.
Ils s'en allèrent au nord de la route 61, à Memphis, dans les derniers jours glacés du mois de février 1951. Ils étaient cinq : Ike Turner, le guitariste
Willie Kizart, le saxophoniste ténor Raymond Hill, le batteur Willie Sims, et le nouveau venu, Jackie Brenston.
Sam Phillips avait vingt-huit ans et n'avait pas encore fondé sa maison de disques; une année entière devait s'écouler avant que le premier disque
Sun ne voie le jour. Mais il possédait un studio d'enregistrement, il fabriquait et négociait des disques, depuis presque un an. Ce fut dans ce studio,
au n° 706 d'Union Avenue, qu'Ike Turner et son groupe vinrent enregistrer, le 3 mars, Rocket 88.
Ce morceau était une composition de Jackie Brenston, mais il s'était inspiré d'une chanson qui faisait partie du répertoire du groupe : Cadillac boogie, enregistrée par Jimmy Liggins chez Specialty en 1947. Brenston avait remplacé la Cadillac par la nouvelle Oldsmobile Rocket Hydra-Matic"88"pour en faire le symbole de la divinité do-rag (Chiffon "rag" que certains noirs élégants mettaient sur leur tête pour protéger leur permanente "do",synonyme de cool) . Loin de vouloir cacher cette dette, Brenston la reconnaissait ouvertement. Bien des années plus tard, il dit à Jim O'Neil, du magazine Living blues :
- Si vous écoutez les deux [chansons], vous verrez qu'elles sont quasiment identiques. Seules les paroles ont été changées.
Quelle que fût l'originalité de la chanson elle-même, celle de son exécution ne faisait aucun doute. L'amplification saturée de la guitare électrique
de Willie Kizart, les glissandos périlleux et les triolets frénétiques du piano d'Ike Turner (il n'est pas improbable que, six ans plus tard, lorsqu'il tomba
sur Jerry Lee Lewis, Sam Phillips, dont les yeux de capitaliste chrétien avaient vu en Elvis un garçon blanc qui chantait comme un Noir, ait reconnu en
Jerry Lee un garçon blanc qui jouait du piano comme ce Noir bizarre et intense, Ike Turner, qu'il avait vu à l'œuvre en ce jour froid de mars),
les hurlements post-mélodiques du saxophone de Raymond Hill, le son de poubelle de la batterie de Willie Sims et celui, cru et consciencieusement
dégénéré, du chant, des cris et autres glapissements de Jackie Brenston - tous ces éléments assemblés formaient un vacarme si puissant et si
outrageusement criard, constituaient une célébration de la gnôle, des pouffiasses et des voitures d'occasion si ridiculement démesurée qu'il était
difficile de dire où s'arrêtait le génie et où commençait la folie.
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Le groupe enregistra quatre autres morceaux ce jour-là . Ike Turner chantait sur deux d'entre eux, Brenston assurant à l'arrière­plan la deuxième
partie de saxophone. Sam Phillips ne perdit pas de temps. Il céda les enregistrements à la firme Chess de Chicago, qui en tira deux simples, mis en
vente à la mi-avril. Les deux faces du premier, avec Turner au chant, sortirent sous le nom d'Ike Turner & his Kings of Rhythm - "lke Turner et ses
Rois du Rythme". C'était dans l'ordre des choses, et Ike était satisfait. Mais le deuxième disque portait la mention: "Jackie Brenston & his Delta Cats".
Cette fois, aux yeux d'Ike Turner - aussi peu réputé en ce temps-là qu'aujourd'hui pour sa grandeur d'âme et son humilité -, ce n'était pas dans l'ordre
des choses, et il n'était pas content. Son mécontentement ne fit que croître à mesure qu'il devenait évident que le simple portant le nom de Brenston
allait être un tube, à la différence de celui où figurait le nom d'Ike.
Rocket"88" entra dans le classement rhythm'n'blues à la fin du mois d'avril. Il atteignit la première place et devint l'une des meilleures ventes de
disques de rhythm'n'blues de l'année 1951. Ce succès eut des conséquences durables. Il inaugurait une ère nouvelle et plus sauvage dans l'histoire
du rock'n'roll; il incita Sam Phillips à créer la firme Sun, car ce dernier réalisa qu'il aurait pu empocher à la place des frères Chess les substantiels
bénéfices qu'avait engendrés le disque produit par ses soins; et il provoqua la séparation d'Ike Turner et de Jackie Brenston après une autre séance
(qui ne donna lieu qu'à un seul enregistrement: My real gone rocket - "Ma fusée est vraiment déjantée" -, la suite de Rocket "88'), pendant l'été 1951.
Plus tard, Turner quitta le piano pour se consacrer à la guitare, afin que tout le monde comprenne bien qui était le chef de son groupe.
My real gone rocket sortit chez Chess à la fin du mois de juin .
Pour diverses raisons - peut-être parce qu'il était trop semblable à son prédécesseur -, ce disque ne se vendit pas. Le simple suivant de Brenston,
Independent woman, était le dernier enregistrement, resté inédit, de la première séance; il sortit en juillet . (La face B de ce disque, Juiced "Imbibé" portait également le nom de Jackie Brenston; mais il se pourrait bien qu'il s'agisse en réalité d'une interprétation due à Billie Love, autre chanteur de rhythm'n'blues cédé à Chess par Phillips.) Bien que très différente de la suite ratée de Rocket "88", Independent woman, chanson plus lente et aux paroles plus subtiles, tomba dans l'oubli avec la même rapidité.
Hi ho baby ("Salut, chérie"), chanson enregistrée en duo avec Edna McCraney, sortit chez Chess en janvier 1952. Un dernier simple pour Chess,
Starvation ("Famine"), vit le jour en 1953, et ce fut tout. L'histoire ne durait que depuis un peu plus d'un an et elle était déjà finie.
Brenston devait dire plus tard:
- J'étais un blanc-bec. J'avais fait un tube et je ne comprenais rien à rien.
Il essaya de gagner sa vie à partir de 1953 en jouant du saxophone dans le groupe de Lowell Fulson, avec qui il travailla par intermittence jusqu'en
1955· Puis, humilié et fatigué, il fut ramené au bercail par Ike Turner, qui n'avait toujours pas réussi à faire un nouveau tube. Brenston resta avec
Turner jusqu'au début des années soixante. Bien qu'il ait enregistré avec Turner et ses Rois du Rythme pendant toutes ces années, on n'entendit
la voix de Brenston, qui avait autrefois semé le trouble dans le monde branché, que sur deux des nombreux simples que le groupe fit paraître.
Il était réduit à n'être que le saxophoniste baryton d'lke Turner. Ce dernier autorisait Brenston à chanter quelques chansons pendant les concerts
du groupe, mais il lui interdisait de chanter Rocket "88".
L'un des couplets les plus inspirés de Rocket "88" apparaît vers la fin de la chanson. Brenston chantait :

Goin'round the corner and get a fifth, Everybody in rny car's gonna take a little nip.

Il n'avait plus de voiture, si l'on peut dire, mais il allait toujours au coin de la rue s'acheter des bouteilles.
Le chanteur Jimmy Thomas, qui rejoignit le groupe de Turner en 1958, confia en 1980 au magazine londonien Blues unlimited qu'il se souvenait
de Brenston et du saxophoniste ténor Raymond Hill comme de deux gars toujours plus ou moins ivres à la fin des années cinquante, malgré les
amendes que leur infligeait Turner quand ils avaient bu.
- Ils buvaient vraiment des saloperies, mon p'tit gars. Ce truc qu'ils buvaient, tu n'en voudrais probablement pas chez toi.Même pas pour laver par
terre. J'te l'dis, mec, c'est vraiment incroyable... ces gars-là, ils pouvaient en engloutir, de l'alcool, ça oui.

Durant l'été 1960, Ike Turner, avec le concours de son épouse Tina, parvint enfin à décrocher un tube, A fool in love ("Un imbécile amoureux"),
qui devait être le premier d'une longue série pour la firme Sue. A New York, ce même été, Brenston grava un simple de son cru chez Sue
( Trouble up the road - "Ça craint en haut de la rue" -et You ain't the one - "C'est pas toi que j'veux"), qui sortit au moment de Noël.
Brenston et Turner se séparèrent à nouveau, cette fois définitivement, en 1962, lorsque Turner quitta Sue. Brenston trouva un boulot dans le
groupe d'un gars qui s'appelait Sid Wallace. Voici le souvenir que ce dernier gardait de Brenston:
- Tout ce qui l'intéressait à cette époque, c'était une bouteille de vin. Il pouvait jouer toute la nuit s'il avait du vin, et il se foutait pas mal qu'on
fasse quelque chose ou pas. Mais il a fini par arrêter les frais.
Avant d'arrêter les frais, Jackie Brenston fit encore un disque, Want you to rock me ("J'veux que tu m'secoues") et Down in my heart ("Au fond de mon cœur"). Enregistré à Chicago avec le groupe d'Earl Hooker, ce disque sortit chez Mel-Lon, la firme de Mel London, en 1963. Et ce fut tout.
Il retourna à Clarksdale et à sa légendaire Quatrième Rue. Il essora son cerveau et mesura ce qui en restait . Les années passèrent. Le saxophone
n'était plus resplendissant .Les gens dans la rue le regardaient de travers, car il s'habillait d'une façon que l'on pourrait qualifier de futuriste, et
son comportement était parfois erratique. Ils ne savaient pas, tous ces gens, ce que peut devenir un homme quand ses rêves de rouler en grand
style s'effondrent; ils ne savaient pas. Il buvait un verre, puis un autre. Les journées chaudes prirent fin, puis vinrent les journées froides.
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jb2.jpg (39.41 Kio) Vu 8925 fois
Il se réveilla dans une chambre de l'hôpital Kennedy pour anciens combattants, à Memphis.
L'armée, au moins, avait servi à quelque chose.
Il y mourut le 15 décembre 1979 à 49 ans ! Juste un petit tour, et puis on rentre à la maison.
Cette gloire de merde ne fait vraiment pas de cadeau.
.
A suivre :" The MIDNIGHTERS "
.
Alain..

Site sur le son et l' enregistrement de Claude Gendre http://claude.gendre.free.fr/
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