Il s’agit bien d’un pré préamplificateur, et non pas d’un transformateur élévateur de tension et adaptateur d’impédance, appelé communément transfo MC.
Le pré préamplificateur est un circuit électronique actif. Son but, tout comme celui du transfo, est d’adapter le signal issu d’une cellule MC (moving coil) à l’entrée phono du préamplificateur, cette entrée étant MM (moving magnet, soit aimant mobile)
Autant le confesser tout de suite, la chose n’est pas aisée électroniquement. En effet, une cellule MC possède une impédance moyenne située, suivant les modèles, entre environ 1 et 50 ohms. Le tout pour une tension de sortie située dans une fourchette comprise entre 0,1 et 0,6 mV soit en moyenne 10 fois plus faible que celle d’une cellule MM classique.
Ce qui signifie que le circuit devra être capable d’accepter une impédance d’entrée aussi basse que 1ohm, tout en ayant un gain de 10, soit 20dB, au minimum.
Mais comme toutes les cellules MC n’ont ni la même impédance, ni la même tension de sortie… on comprend dès lors la difficulté de conception du circuit… difficulté à laquelle il faut rajouter le faible signal de sortie de la cellule MC. Le moindre mauvais contact, le moindre câble mal blindé peut rendre le résultat catastrophique au niveau du bruit de fond et de la fidélité de restitution sonore.
Beaucoup d’audiophiles possédant différentes cellules MC ont résolu ce problème, soit en utilisant un transfo MC possédant plusieurs secondaires, comme par exemple les Denon AU 320 ou 340 (3 ohms et 40 ohms) ou encore les Audiotechnica AT650, AT700 (3, 20 et 40ohms), soit en possédant plusieurs transfos.
Mais pour Audio Research, ce n’est pas un problème. Quand on a la connaissance et la maîtrise des tubes comme un certain William Johnson, et que l’on a décidé de créer un appareil sans compromis susceptible d’être adapté à toutes les MC du marché, on fonce !
Et pas n’importe comment… c’est ce que nous allons tenter de voir.
Pour l’esthétique, c’est dans la lignée des autres Audio Research, rien de spécial… les amateurs de chrome et des tubes apparents en seront pour leur frais, chez AR, c’est le rack. Point barre.

Sur la face avant, nous voyons à gauche un commutateur 5 positions, correspondant aux impédances souhaitées suivant la cellule utilisée. 1, 3 , 10 , 30, et 100 ohms.
A droite, un autre commutateur, 3 positions pour le gain. 16, 20, et 24 db au choix de l’utilisateur, et ce, quelle que soit l’impédance choisie.
En bas, l’inter on/off ainsi que celui de muting, qui envoie le signal de sortie à la masse
La face arrière n’appelle aucun commentaire : une prise secteur, 2 RCA d’entrées et de sorties, et le fusible.
C’est à l’intérieur que c’est joli. Miam ! Et ce qui est encore plus remarquable est le circuit.



4 tubes ECC88/6DJ8 pour le traitement du signal, et 2 tubes pour l’alimentation, une 12AT7/ECC81 et une 7044. On remarque également 3 régulateurs 7815 en boitier TO3 pour le chauffage filaments, VR1 VR2 et VR3 sur le schéma.
Nous allons à présent essayer de comprendre comment fonctionne ce prépré : avant toute chose, il faut savoir que dans le milieu audiophile, il existait et il existe toujours de farouches défenseurs du prépréamplificateur (inclus dans le préampli ou pas) ainsi que leurs adversaires partisans du transformateur. Question de goût me direz-vous… oui et non ! Oui, parce qu’après tout, si vos oreilles préfèrent sur votre système l’un ou l’autre, rien de plus logique. Non, parce que d’un point de vue technique, l’une et l’autre méthode ont leurs avantages… et leurs inconvénients !
Et un des inconvénients du prépré, c’est son alimentation. Comme audio research ne peut pas se permettre de vendre un appareil contenant plus de 50 kg de batteries, il faut une alimentation à transfo : et une chiadée, comme dirait l’autre !

Pas moins de 4 ponts redresseurs, un pour la haute tension, et 3 autres pour les filaments des 6 tubes.
Pour la haute tension, AR n’a pas fait dans la dentelle… 2 tubes, 7044 et 12AT7 dans un montage assez complexe stabilisent celle-ci à 246V. Puis vient le deuxième effet Kiss cool, à savoir une deuxième régulation à très faible résistance interne qui stabile définitivement la tension à 234V. Cette alimentation est dans le même esprit et proche que celle du SP10, mis sur le marché 3 ans plus tôt.

Ainsi armé, AR se devait de concevoir un circuit original aux petits oignons… ce qui est vraiment le cas ! Le voici :

Avant toute chose, il convient de préciser qu’audio research a choisi le tube ECC88/6DJ8 pour le traitement du signal. Dites-vous bien que ce n’est pas par hasard. Donc une fois de plus, ne le chngez que par… lui-même !
Le tube ECC88 est un tube à grille cadre. Cette technique, mise au point chez nous par la radiotechnique vers la fin des années 50, allait permettre par exemple aux laboratoires utilisant des oscillo comme les Tektronix, de voir leur bande passante grimper jusqu’à 100MHz. De même en vidéo, en UHF et en informatique, les progrès furent considérables grâce à cette technique.
Mais en audio, la ECC88 restait chère, et avait une fâcheuse tendance à l’auto-oscillation, d’ailleurs elle a servi à ça dans quelques téléviseurs. Mal utilisée, c’est une catastrophe. Sa pente élevée, 12,5 Ma/V demande une alimentation très stable, afin d’avoir un point de fonctionnement très précis pour éviter l’auto oscillation. Bref, ce tube ne s’utilise pas en ampli de tension comme une ECC83…
Le circuit de gain choisi est un cascode. Mais un cascode particulier. Ici, le signal après le sélecteur de résistances en fonction de la MC utilisée, et d’une batterie de condensateurs mis en parallèle dont deux de 40 µF à cause de la faible impédance d’entrée, attaque non pas la grille mais la cathode de deux ½ ECC88 aux éléments mis en parallèle. C’est un montage à grille à la masse appelé également grille commune, le tout en cascode avec le tube supérieur, composée également d’une ½ triode ECC88. C’est donc un cascode dans l’idée, mais considérablement modifié.
Les avantages ? La faible impédance d’entrée, nécessaire pour les MC, qui en plus est divisée par deux dans notre cas. Le tube ECC88 parfaitement adapté à ce type de montage, qui dans ce cas particulier n’inverse pas la phase, contrairement au cascode classique.
Notre signal est ensuite dirigé en liaison directe vers une autre ½ ECC88 montée en anode commune, appelé également cathode follower, de gain légèrement inférieur à l’unité, et de faible impédance de sortie, ici 150 ohms. Ceci à cause de la longueur des câbles nécessaire pour acheminer le signal vers un préampli MM.
Mais, horreur et abomination, qu’est ce que ce transistor JFET vient faire là dedans ? Pourquoi s’évertuer à faire un circuit à tubes ? si c’est pour y mettre un #¤~@ ! de transistor ?
Pas de panique dans les rangs ! Le 2N5462 est bien un JFET, mais il ne traite absolument pas le signal. C’est un JFET à dépletion, il est là pour réguler, une fois de plus, afin que la polarisation de notre cathode follower (tension grille - cathode) soit toujours correcte. Et comme vous avez très attentivement examiné le schéma, vous-vous êtes aperçu que le 2N5462 ne peut être qu’un canal P, et pas N comme indiqué. Il faut donc inverser le sens de la flèche.
Nous constatons également qu’une partie du signal de sortie est injecté à la grille de l’ECC88 supérieure du cascode, tout en polarisant en continu celle-ci… c’est donc une contre réaction. Celle-ci va diminuer le gain du cascode, élargir sa bande passante, et le stabiliser une fois de plus, au cas où notre alimentation de fou furieux n’y serait pas parvenue…
Vient enfin la sortie du cathode follower. Pour bloquer la composante continue, le signal traverse 3 condensateurs polypro dont la valeur dépasse les 16µF ! On veut du grave, chez AR…
Et ici aussi comme Félicie, nouvelle contre réaction, mais globale cette fois ci. Une partie du signal par l’intermédiaire de la 4,4K série et 750 ohms parallèle est ramenée sur les 2 grilles des 1/2 ECC88. Le gain, est alors de 16 db (x6 environ)
Et c’est en jouant sur la 750 ohms par l’intermédiaire du sélecteur de la face avant, donc en mettant en parallèle sur cette dernière une résistance de 890 ohms que le gain passe à 20db (x10). Pour la 3eme position du sélecteur, soit 300 ohms en parallèle, nous avons 24 db (x15) c'est-à-dire que si notre cellule à un niveau de sortie donné pour 0,3 mV, nous aurons 4,5 mV en sortie du prépré.
L’impédance de sortie de 150 ohms permettra d’utiliser un câble de modulation assez long sans risque de perte dans les aigus.
Au niveau des mesures, AR annonce fièrement sur l’entrée 16db une bande passante allant de 10 Hz à 250Hz à -3db. Ce qui est vrai. Ainsi qu’une distorsion par intermodulation inférieure à 0,01% avec 100 mV en sortie, ce qui est exceptionnel pour un circuit à tubes.
Mission accomplie ? Techniquement, on ne peut dire que OUI.
En effet, les moyens mis en jeu sont gargantuesquement pantagruéliques. AR a mis tout son savoir, tous les moyens dont il disposait sans aucune considération de prix, pour arriver à sortir cet appareil tout aussi exceptionnel que le SP10, autant dans l’esprit et techniquement.
Ah, oui… l’écoute… comment peut bien sonner ce monument ?
Autant vous le dire tout de suite… Ne comparez pas le MCP33 avec un prépré sur piles avec des circuits intégrés, fussent-ils de course. La fessée -et en plus déculottée- serait cinglante. On ne joue pas dans la même catégorie. De même, et je n’hésite pas à le dire, le MCP33 est supérieur à la plupart des transformateurs, surtout ceux fabriqués dans les années 60-70… notamment en matière de tenue et de détails dans le registre grave/ extrême grave, ce qui dégraisse complètement le bas médium. Chose rare pour un prépré, il est très homogène tout le long de la bande passante. Le son est particulièrement aéré, comme sur l’entrée MC du SP10, mais avec plus de détails encore. On ressent d’ailleurs cette différence en attaquant le SP10 en entrée 47K MM.
On pourra lui reprocher car rien n’est parfait en ce bas monde, d’être très sensible à la qualité des condensateurs utilisés. AR a choisi des MKP Rel cap et wonder cap, et l’on pourra faire des essais en essayant d’autres marques. Il est aussi très sensible à la qualité des ECC88 utilisées. Ceci à cause des dispersions des caractéristiques de ce tube, dues à sa difficulté de fabrication. En effet, la distance cathode - grille est de l’ordre de 50µm. Le moindre écart dans le montage, et l’on se retrouve avec par exemple 5mA sur une moitié, et 2mA sur l’autre… audio research effectuait un tri sévère des ECC88.
Certains transfos de haut de gamme peuvent paraître plus naturels également, mais très rarement sur toutes les cellules.
Mais vous l’aurez compris, mon but n’est pas d’être pour ou contre le transfo ou le prépré. Car au final, ce qui importe est la somme des avantages et des désavantages, le tout en fonction de son système, de la combinaison avec la cellule et le bras, etc. Mais plutôt de vous montrer ce qu’un constructeur comme audio research savait faire, et de vous faire comprendre sa philosophie.
Celle de la très haute fidélité sans compromis.
