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1-Les oubliés "Jesse Stone "

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hencot
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1-Les oubliés "Jesse Stone "

Message par hencot »

JESSE STONE
Celui qui contrôle le rythme
jesse stone_im1.jpg
jesse stone_im1.jpg (12.04 Kio) Vu 2059 fois
Il n'y a pas grand-chose au centre de Laurelton dans l'Etat ,de New York une épicerie ,
un salon de beauté, deux églises une taverne appelée "L'Auberge de Little T ".
La petite communauté noire des environs vit dans un décor de rues bordées d'arbres, de
modestes pavillons et de pelouses bien entretenues. Les arbres sont grands et vénérables ;
leurs racines, ont depuis longtemps fait éclater le revêtement d'ardoise et de béton de la chaussée..
Leurs ombres menaçantes qui s'étendent sur les rues plongées dans l'immobilité paresseuse de l'été
sont d'un autre pays, d'une autre époque. Si l'on n'entendait, par intermittence, le vacarme soudain
des avions à réaction ,atterrissant et décollant de l'Aéroport International JFK tout proche,
on oublierait facilement que Laurelton n'est qu'à une demi-heure de train de Manhattan.
—Je m'étais habitué à vivre ici, me dit Jesse Stone.
C'était en août 1981 Nous ètions assis dans la pièce faisant office de studio et de bureau qu'il avait
aménagée des années auparavant au premier étage de sa maison sur Mentone Avenue .
-Ça va être un véritable enfer d'empaqueter tous ces trucs.
J'ai passé la nuit à mettre mes livres dans des cartons.
En disant cela, il désignait du doigt les boites de carton ondulé posées sur le plancher .
Elles n'étalent pas encore fermées. Une édition de poche du livre de Frederick Law Olmsted ,
The Slave States ("Les Etats. esclaves") dépassait de l'une des piles.
— C'est ma femme, Evvi, qui a vraiment envie qu'on déménage en Floride. Voilà sa batterie.
A droite de la batterie il y avait un piano droit . Tout l'espace restant était envahi par un
synthétiseur, des guitares, du matériel d'enregistrement un petit bureau avec une machine à écrire,
des classeurs, un duplicateur 3M, des rames de papier à musique, et le canapé sur lequel nous étions assis.
—J'ai un autre studio, en bas, dans la cave. C'est là que j'ai mis mon matériel vidéo..
Un avion passa juste au-dessus de nos têtes et couvrit ses paroles ; mais il ne s'en aperçut pas.
Jesse Stone est né à Atchinson (Kansas) le 16 novembre 1901.
Son grand-père John avait été esclave dans une famille blanche du nom du Stone, qui vivait dans le Tennessee.
John était parti dans le Kansas à la toute fin du siècle dernier, et il s'en était bien sorti.
— C'était quelqu'un, mec. Le premier à avoir eu une Cadillac dans tout le Kansas, il l'avait achetée
à l'Exposition internationale de 1904, à Saint-Louis . Il me faisait astiquer les cuivres de
cette bagnole tous les samedis matin .
Les parents de Jesse, Fred et Julia, étaient des musiciens,comme beaucoup de gens dans leur famille.
— Toute la famille travaillait dans le spectacle mes cousins, mes grand-mères, mes grand-pères.
J'ai appris à la maison, avec mes parents. j'avais un oncle qui s'intéressait à la musique classique.
J'ai hérite de ma mère le don d'écrire des chansons. Mon père était producteur.
Il faisait les arrangements des morceaux pour nos spectacles. Quant à moi. j'ai commencé à chanter à
l'âge de quatre ans. Je faisais un numéro avec des chiens, Les chiens étaient si bien dressés
qu'ils pouvaient faire le numéro sans moi. Avec eux, j'avais le beau rôle, Le premier instrument
que j'ai appris était le violon.
Dans les années vingt, Jesse se rendait fréquemment à Kansas City, qui n'était qu'à quatre-vingts
kilomètres au sud-est, de l'autre côté du fleuve Missouri.
— C'était la prohibition, et Pendergast dirigeait toute la ville comme une boite clandestine.
C'était à ne pas croire. Piney Brown faisait partie de la bande de Pendergast il était ce qu'on
pourrait appeler son ministre des affaires sociales. Il se passait un tas de choses musicalement.
C'est à ce moment-là que j'ai connu Joe Turner, qui n'était encore qu'un gamin.
Il se tut un moment, comme s'il se rendait soudain compte que tout cela s'était passé il y avait
bien longtemps.
— Joe est complètement sénile maintenant, je crois.
Il se rendait aussi en amont du fleuve, à Saint-Joseph, qui était un endroit presque aussi ouvert que Kansas City.
— Il y avait un métis, moitié noir, moitié chinois, du nom de Ching, se souvient Jesse.
C'était en quelque sorte le Piney Brown de Saint-Joe. Il tenait un club qui s'appelait Jazzland —
"Le Pays du jazz" — Café. Il avait mis au point une boisson sans alcool qui rendait saoul.
Elle fermentait dans l'estomac une fois qu'on l'avait bue. Il la fabriquait en cachette, dans la cave du
club. Tout ce que je sais, c'est qu'il y avait de la prune dedans. Cette boisson s'appelait le Paon.
C'était le grand truc à Saint-Louis pour tous les gens, qui étaient dans le show-biz. Dès
qu'ils arrivaient en ville, ils allaient se faire servir un Paon. Ça avait un peu le goût du diabolo-fraise, en moins sucré.
La Brasserie Getz avait offert à Ching un million de dollars pour qu'il lui révèle son secret, mais il n'a jamais cédé.
Dès 1926, Jesse avait un groupe Jesse Stone & his Blue Serenaders "Jesse Stone et ses Troubadours Mélancoliques".
Avec Frank J. Rock pour imprésario, le groupe enregistra "Starvation blues" ("Le blues de la famine") à Saint-Louis, chez Okeh,
en avril 1927 .Jesse travailla comme pianiste et arrangeur à Kansas-City jusqu'à la fin des années vingt.
Il participa à des séances d'enregistrement pour les firmes Meritt et Brunswick, en 1929,avec Julia et George E. Lee,
dont il avait rejoint l'orchestre en 1928.
Dans les années trente, il monta un orchestre plus important et commença à faire des tournées. La chance lui sourit en 1936,
quand Duke Ellington entra dans le club de Detroit où jouait Jesse Stone avec son orchestre, accompagnant un groupe vocal
féminin appelé The Rhythm Debs, "les Débutantes du Rythme".
— C'est Duke qui m'a donné la liberté. Il nous a amenés New York et nous a fair jouer au Cotton Club. Il m'a présenté à
Sidney Mils, de chez Mills Music. Sidney m'a fait signet un contrat et m'a fait jouer dans des salles de concert. Duke avait
des problèmes avec sa femme à l'époque, et il nous a prêté son appartement au n°2040 de la Septième Avenue loyer payé et
tout, pendant presque quatre mois. C'était quelque chose. On venait pratiquement de rien, d'un trou du Middlewest, et tout
d'un coup ça s'est mis à marcher. J'ai commencé â 'bosser à l'Apollo Theatre, qui venait d'être reconverti — avant, c'était
un cabaret burlesque pour Blancs. Je travaillais pour Leonard Harper. je mettais en scène des spectacles, je composais des
chansons, j'écrivais des gags, des sketches, etc..., pour les acteurs Pigmeat "Viande de cochon" — Markham, Dusty Fletcher, Sam Theard.
Les gens arrivaient, jouaient une semaine et puis s'en allaient. Je bouchais les trous dans les arrangements musicaux.
J'ajoutais une partie de trompette qui manquait, un ou deux saxophones, des trucs comme ça. Quand j'ai fait mes débuts à l'Apollo,
je touchais quinze dollars par semaine. Quand je suis parti, j'en gagnais trois cents. Je jouais aussi avec mon orchestre
au Club Renaissance, à Harlem, tous les week-ends. C'est là que Louis Jordan s'est inspiré de ma façon de chanter.
Je faisais des arrangements pour Chick Webb en ce temps-là, et Louis était troisième alto dans l'orchestre de Chick .
Il demanda à Chick s'il, pouvait chanter, et Chick lui dit "vas-y". Louis dit: «Bon, Jesse va écrire un ou deux arrangements pour moi."
Alors j'ai écrit les arrangements. Il les a essayés un soir et s'en est très bien sorti. Chick n'a pas apprécié.
Il n'a plus voulu jouer ces airs-là. Alors Louis est parti. Je l'ai encouragé en lui disant que s'il voulait chanter, il fallait
qu'il s'éloigne de Chick. Il a pris mon orchestre, et ils se sont appelés The Elk's Rendez vous Band — "l'Orchestre du Rendez-vous des Elans"
c'est eux qu'on entend me ses premiers disques.
Jesse enregistra quelques disques sous son propre nom à la fin des années trente et au début des années quarante .Il grava
Snaky feeling ("Sentiment sournois") pour la firme Variety en 1937 il écrivit les arrangements pour des séances d'enregistrement de
Jimmie Lunceford en 1939, d'Harlan Leonard & his Rockets (“Harlan Leonard et ses Fusées") en 1940.
Mais ce qui l'intéressait le plus, c'était d'écrire des chansons.
— Cole Porter m'a appris un tas de trucs. Il m'a dit : "Quels instruments utilises-tu ?" Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire par la.
Je n'avais jamais entendu parler d'un dictionnaire de rimes. Je ne savais pas ce que c'était qu'un homonyme .Je ne connaissais pas
la différence entre une assonance et une allitération. J'ai dit 'Des instruments ?" Et il m'a dit : "Merde ! Quand tu dois creuser un fossé,
tu te sers d'une pelle, non ?" Après quoi j'ai commencé à envisager l'écriture de chansons sous un angle plus professionnel.
Le premier gros tube que Jesse écrivit fut Idaho. Plusieurs orchestres l'enregistrèrent en 1942, mais ce fut la version de
Benny Goodman pour Columbia qui grimpa en tète du classement cet été-là .
Au début de l'année 1945 Jesse et son ami Herb Abramson entrèrent en relations avec National, la firme que venait de monter Al Greene à New York.
— On pensait que Greene s'y prenait mal II avait un tas de grands artistes noirs sous contrat — Billy Eckstine, les Ravens, etc. ...,
mais il n'en faisait pas grand-chose. Alors on s'est mis en tête, Herb et moi, de lancer notre maison de disques à nous.
On imaginait pouvoir faire ce qu'un gars comme Greene ne faisait pas Le seul inconvénient était que ni Herb Abramson ni moi n''avions
un fifrelin en poche . C'est alors qu' Herb fit la connaissance d'Ahmet Ertegun. Ahmet avait du pognon. Ainsi naquit la firme Atlantic .
Quand elle a débuté, fin 1947, on essayait de faire du Jazz. Le Jazz ne se vendait pas. On s'est mis à analyser ce qui n'allait pas.
On a même fait un voyage dans le Sud, Ahmet, Herb et moi. On s'est aperçu que notre musique ne marchait pas parce qu'on ne pouvait pas
danser dessus,. Les gosses cherchaient des trucs qui puissent se danser. J'ai écouté ce que jouaient les groupes semi-professionnels
qui se produisaient dans les boîtes par là-bas, et j'en ai conclu que la seule chose qui manquait dans ce qu'on enregistrait
était le rythme.. Tout ce qu'il nous fallait, c'était une ligne de basse. Alors j'ai mis au point un motif pour la basse,
et c'est plus ou moins ça qu'on a appelé le rock'n'roll. Doo, da-doo, dum ; doo, da-doo, ce truc-là. Je suis le coupable ;
c'est moi qui ai lancé ça. Quand on a mis ce son sur les disques Atlantic, ils ont commencé à se vendre comme des petits pains.
Le premier disque où on l'a utilisé était Cole slaw ("Salade de chou cru"), par Frank Culley, le joueur dc saxophone.
Il est arrivé chez Atlantic un beau jour avec une chanson qu'il prétendait avoir écrite. En réalité, c'était une chanson appelée
Sorghum switch ("Canne de sorgho"), que j'avais écrite quand je fabriquais des chansons à la chaîne chez Mills .
Jimmy Dorset' l'avait enregistrée en 1942. Culley l'avait trouvée quelque part mais il avait compris le titre de travers.
Il l'appelait Sergeant ("Sergent"). On l'a quand même laissé enregistrer pour Atlantic, j'ai changé le titre de la chanson en
Coleslaw et je lui ai donné de nouveaux arrangements.
Culley enregistra la chanson aux studios Apex, à New York,en janvier 1949. (il avait joué la partie de saxophone alto, un
mois plus tôt, sur l'enregistrement de Grandma plays the numbers "Mémè fait des paris clandestins" — par Wynonie Harris, de
l'autre côté du fleuve, à Linden, New Jersey.) La chanson entra dans le classement rhythmsn'blues début mai, mais la version
enregistrée peu après par le vieil ami de Jesse, Louis Jordan, eut davantage de succès. Jesse enregistra sa propre version en
avril, chez Victor, à New York.
— Notre premier gros succès avec le nouveau son a été Ruth Brown, qu'on avait découverte à Philadelphie. A partir de 1949,
les tubes se sont succédé sans arrêt.
Jesse apporta une contribution inestimable à l'immense succès des disques Atlantic. Ahmet Ertegun confirma au Britannique
Charlie Gillett, auteur du livre Making tracks ("Sur les pistes") (une histoire de la firme Atlantic parue en 1974), que Jesse Stone
a fait plus que tout autre pour développer le son de base du rock'n'roll. Au début des années cinquante, Jesse a écrit et
arrangé pas mal de gros tubes d'Atlantic, parmi les, meilleurs : Money Honey ("De l'argent, chérie") par les Drifters — "les Vagabonds"
— en 1953, It should have been me ("Ç'aurait dû être moi") par Ray Charles en 1954, Your cash ain't nothing but trash ("Ton
pognon, c'est de la merde") par les Clovers — "les Trèfles" — en 1954 .Mais son véritable coup de génie fut la chanson qu'il écrivit
pour son vieux pote de Kansas City, Big Joe Tuner. — En janvier ou février 954, Herb Abramson me dit "Joe Turner va venir enregistrer
chez nous ; il nous faut un blues accéléré, pour changer," J'ai mis bout à bout plusieurs phrases phonétiques — shake,rattle and roll
("remue, agite-toi et balance-toi"), flip, flop and fly ("saute, retombe et file)- et j'ai obtenu trente ou quarante vers.
J'ai pioché dedans. C'est mon batteur, Baby — "Bébé" — Lovett, qui a trouvé le vers A one-eyed cat peepin in seafood store
("Un chat borgne qui mate dans une poissonnerie"). Il inventait toujours des trucs dans ce genre-là.
Shake, rattle and roll était un disque parfait. Les paroles étaient lascives, mais pas assez sales pour empêcher la chanson de passer
sur les ondes. Joe Turner chantait mieux que jamais. Le solo de saxophone ténor de Sam Taylor était triomphal. Sorti début avril,
le disque resta en tête du classement rhythm'n'blues pendant près de sept mois.
Comme la plupart des chansons écrites par Jesse cette année-là, Shake, rattle and roll fut déposée sous le nom de Charles E. Calhoun.
- J'essayais d'être affilié aux deux sociétés de droits d'auteur, ASCAP et BMI, en même temps, m'expliqua-t-il. Je venais d'acheter
une maison à Hempstead. Le type qui avait construit la maison s'appelait Charles Calhoun. J'avais à la main le contrat pour cette maison
quand Ahmet m'a dit : "Faut trouver un autre nom à mettre sur ces morceaux-là ?' J'ai regardé là feuille et j'ai vu écrit Charles Calhoun.
Jesse ne s'est pas contenté d'écrire des chansons sous ce nom d'emprunt ; il a aussi pris ce pseudonyme pour enregistrer chez MCM en 1955,
chez Groove et Atlantic en 1956.
Lorsque Ed Mesner ouvrit l'agence new-yorkaise de sa firme installée à Los Angeles, Aladdin Records, pendant l'été 1954, il recruta Jesse
pour diriger sa nouvelle filiale, Lamp — "la Lampe". Jesse ne cessa pas pour autant de travailler avec Atlantic, mais ses relations avec
cette firme s'espacèrent peu à peu.
— Ahmet était sympa avec moi. Il disait : "Tu n'es pas assez payé." Alors il écrivait une somme et disait : "Voilà ce que tu devrais gagner.
Si ce n'est pas toi, c'est le gouvernement qui l'aura:" Mais ce que je voulais, c'était des parts de la firme, et je n'ai jamais réussi
à les contraindre à m'en céder. Ils continuaient à me proposer un boulot à vie, mais ce n'était pas ce que je voulais. Je voulais des parts.
L'agence new-yorkaise d' Aladdin ne dura pas longtemps. La firme elle-même commença à battre de l'aile en 1956, malgré le succès de
la dernière découverte maison : Shirley & Lee.
Ed Mesner me devait un paquet de pognon quand il a fermé l'agence. Au lieu de me verser mes arriérés, il m'a donné tout le mobilier
et le matériel de bureau, C'est de ça qu'on s'est servi Hal Fein, Charles Singleton et moi, quand on a lancé Roosevelt Music.
Fein avait bossé chez Mills avec moi. Roosevelt Music, c'était son idée. On connaissait un tas d'auteurs noirs qui avaient des ennuis
avec les éditeurs blancs. Ils écrivaient des chansons de rock'n'roll, et les éditeurs ayant pignon sur rue ne s'y intéressaient pas.
On a rassemblé tous ces auteurs,et on a offert à chacun d'eux sa propre firme satellite. Voilà comment ça marchait : la compagnie mère,
Roosevelt, faisait un premier choix dans chaque fournée de chansons que l'auteur nous proposait. Le deuxième choix était pour la firme
de l'auteur. Le troisième choix était à nouveau pour la compagnie mère, et ainsi de suite, pour chaque fournée de chansons, Les firmes
satellites détenues par les auteurs portaient toutes, comme la compagnie mère, des noms de présidents. Nôtre,premier gros tube,
si je me souviens bien, fut une chanson d'Otis Blackwell,enregistrée par Elvis Presley.
Les vingt années qui suivirent l'arrivée de Jesse à New York furent bien remplies, mais les vingt qui les avaient précédées n'étaient
pas mal non plus . A l'approche de la soixantaine, Jesse Stone commença à regarder en arrière. Il était passé des spectacles de foire
aux orchestres de swing, et de là au rock'n'roll il avait fait ses débuts en tenant un cerceau de tonnelier pour y faire sauter un chien
dressé, puis il avait produit des spectacles pour l'Apollo Theatre, et il avait fini, par vendre des chansons à Elvis Presley ;
il avait commencé par boire le whisky de contre-bande de Piney Brown et les Paons de Chin, puis il avait fumé les joints de Cab Calloway,
et il avait fini par boire le champagne d'Ahmet Ertegun. Au bout du compte, tout ça lui avait rapporté quelques dollars.
— J'ai décidé de prendre ma retraite et je suis parti me la couler douce en Californie. Je suis resté allongé sur la plage à écouter
les matchs de base-ball pendant à peu prés un an. Un jour, un type est venu me chercher ; il m'a dit qu'il était submergé par la vogue
du twist, et il m'a demandé si je voulais bien l'aider en lui écrivant quelques arrangements. Je ne le savais pas encore, mais ma retraite
avait dèjà pris fin. Avant même de m'en être rendu compte, je bossais pour toutes sortes de gens de Hollywood, comme Ann-Margret et consorts.
J'ai fini par atterrir dans la nouvelle firme de Frank Sinatra, Reprise, en 1961. Puis des gangsters de Chicago sont venus me proposer
de diriger une maison de disques là-bas. Je les ai envoyés paître. Ils m'ont fait une nouvelle proposition. Je les ai envoyés paître
une deuxième fois. Ils ont continué à faire monter les enchères. A la fin, c'était trop bon pour pouvoir être refusé ; alors je suis parti
à Chicago. Ces mecs-là ne s'intéressaient pas aux disques. Tout ce qu'ils voulaient, c'était une couverture. Ils occupaient le dernier étage
de l'immeuble de Playboy. Ils m'ont installé dans le bureau le plus luxueux, le plus raffiné que j'aie jamais vu.
J'ai dit : je n'ai pas besoin d'autant de place." — "Ne vous en faites pas pour ça."
Ils arrivaient le matin et restaient là pour surveiller tous les paris qui se faisaient au téléphone. Puis, après le déjeuner, à une
heure de l'après-midi, l'endroit se transformait en maison de disques. Il y avait Roy Love, Huddie Loveman, et ces mecs-là.
Huddie, à l'époque, était le caïd de tout le nord de Chicago. La maison de disques, Kandy Records, portait le nom de son petit-fils.
C'était n'importe quoi. Ces mecs-là amenaient toutes les poules qu'ils connaissaient, les lapines de Playboy ou autres,pour leur faire
enregistrer des disques, ils leur racontaient quelques bobards et ils me les envoyaient. Aucune ne savait chanter.
Un jour, j'ai dit "Si les disques ne se vendent pas, c'est parce que nous ne faisons pas parler de nous. j'ai besoin d'envoyer des
communiqués de presse." ils ont dit : 'D'accord, on va vous trouver une presse à imprimer." je pensais qu'ils allaient. m'amener un de
ces petits appareils qu'on installe sur une table et, dont on tourne la manivelle. Pas du tout. Ils sont revenus avec une presse
lithographique en couleurs A.B.Dick à trente mille dollars. Ce truc est arrivé dans un gros camion.
Je ne sais pas faire marcher ce machin-là "Ne vous en faites pas pour cela." C'était dingue. Ils me donnaient plein d'argent.
Plein, d'argent. Mais j'ai fini par avoir la frousse. Ils avaient buté un mec dans les quartiers Est, dont ils avaient fait un conseiller
municipal ou quelque chose comme ça, et qui les avait doublés.
Ils faisaient des réunions d'affaires dans mon bureau, et je les entendais parler : "Vous avez vu la gueule qu'il a tiré quand je lui ai dit
que son dernier jour était arrivé ?" — c'était ce que j'entendais ;ils en parlaient comme s'ils discutaient d'une partie de poker —
"Il fixe le revolver, ses yeux s'écarquillent de plus en plus, et je l'explose." J'ai commencé et me sentir mal l'aise. Je me suis dit :
"Oh-oh, faut que j'me tire de la. Tout doucement, j'ai passé le relais au fils de Huddie, Lenny Loveman.Il s'était fait virer de plusieurs
universités et ils ne savaient pas quoi en faire. je lui ai 'confié les rênes de la maison de disques. Ils ont vraiment apprécié le geste.
Ils m'ont donné vingt quatre mille dollars, et j'ai mis les bouts. je leur ai dit que je, retournais à New York, mais en réalité je suis
allé à Englewood, dans le New Jersey. je pensais qu'ils pouvaient venir me chercher. Un jour je reçois un appel chez Roosevelt Music ;
un gars au bout du, fil me dit :" Si jamais vous avez besoin de quelque chose, vous nous le faites savoir. On sera là "
Pendant que Jesse travaillait à Chicago, il enregistra plusieurs concertos pour piano chez RCA.
A son grand regret, ils n'ont jamais vu le jour.
— Je compose encore, de temps à autre, des morceaux classiques. j'ai écouté Bach toute ma vie. Bartok, Stravinsky: voilà ce que j'aime
dans la musique moderne. j'ai eu beaucoup plus de chance avec mon rock'n'roll qu'avec mes concertos, ça, c'est sûr.
Il rit.
- On ne peu pas tout faire, sans doute.
Jesse pensait qu'il aurait fini de s'installer en Floride avant le mois de décembre. Il aurait alors quatre-vingt-deux ans.
Je lui demandai si ce déménagement était, une nouvelle tentative de départ à la retraite.
- Oh, je ne sais pas. il y a un tas de clubs là-bas, à Orlando, où on va s'installer. Ma femme a vingt ans de moins que moi, et
elle aime encore jouer, On va peut-être faire quelques concerts ensemble. Mais ce qui me plairait surtout, c'est dc me consacrer
un peu plus à cette histoire de vidéo
Ses yeux brillaient, et il n'avait vraiment pas l'air d un homme qui faisait un numéro avec des chiens dressés en 1905.
- J'ai vu pas mal de ces vidéos rock'n'roll, je les ai bien regardées. A ce que je vois, ces gosses sont complètement enlisés dans tous
ces trucs de montage. Aujourd'hui, c'est du montage et rien d'autre. Ça vieillit déjà. J'ai quelques idées que je veux essayer.
On verra bien ce que ça donnera.
Il se leva lentement et sourit, puis se pencha pour ranger Les États esclaves. Nous quittâmes la pièce et nous descendîmes au
rez-de-chaussée. Il me dit
- Ce que je ne regretterai pas, dans cette maison, c'est l'escalier.
Jesse faisait encore des concerts, là-bas, en Floride, vif, chenu et souriant, la canne à la main, en février 1999, un peu plus d'un mois
avant sa mort, survenue le 1er avril à Altamonte Springs, près de la ville d'Orlando. On a parlé de problèmes rénaux et de problèmes cardiaques.
Mais, comme les mecs dont parle la Bible, ce patriarche de l'Ancien Testament du rock'n'roll vécut bien et longtemps, puis il mourut
lorsque l'heure arriva.
Son corps fut transporté New York et exposé dans l'église de Saint-Pierre, sur Lexington Avenue, par un bel après-midi de printemps,
le 7 avril. Jesse était mort depuis une semaine, et il avait l'air en meilleure santé que beaucoup d'entre nous qui étions présents.
J'eus l'honneur d'être l'un de ceux à qui l'on demanda de monter en chaire pour faire l'éloge funèbre de Jesse
En regardant le corps dans son cercueil, en regardant sa veuve, Evelyn McGee Stone, les autres membres de sa famille encore vivants
et ses amis, je racontai à peu près la même histoire que précédemment, celle que Jesse m'avait racontée.
J'étais heureux de voir les larmes de sa veuve se changer en rire à mesure que je parlais. Je ne l'avais plus revue depuis ce jour d'été,
il y avait tant d'années.
Mettant de coté le texte que j'avais préparé et laissant les mots couler sans réfléchir, je ressentais un bonheur plus profond ainsi qu'une
plénitude nouvelle, maintenant que le cadavre de Jesse Stone gisait devant moi : un sentiment de gratitude pour ce qu'il m'avait donné
et ce qu'il avait donné au monde, et pour le Dieu intérieur qui l'avait fait venir en ce monde pour y apporter la secousse d'une grâce
libératrice. Je ressortis dans la gloire bleutée et parfumée de la, vie, emportant avec moi cette gratitude, et sachant que cet homme,
Jesse Stone, avait vécu, réellement vécu, comme peu d'autres hommes l'avaient fait ; et je ressentis de nouveau cette plénitude, avec
l'inspiration , la capacité et la résolution béatifique de vivre de la même façon, réellement, dans le don bleuté et parfumé du souffle
et du moment, qui est le seul vrai don.
Amen..... Et n'oublie pas : ton pognon, comme ton cul, c'est de la merde.
.
jesse stone_im2.jpg
jesse stone_im2.jpg (6.37 Kio) Vu 2059 fois
Alain..

Site sur le son et l' enregistrement de Claude Gendre http://claude.gendre.free.fr/
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